Samuel Dixneuf

#folieordinaire

In invité(e)s, vasescommunicants on 3 février 2012 at 00:01

On ne peut tuer un mythe. Argumentez.

Une semaine que mon fils sue sang et eau là-dessus. Au point d’en avoir une colite. De le voir souffrir de la sorte – à quinze ans ! – moi qui n’ai que les maux de ma quarantaine – me mine.

#folieordinaire : Licencié, un père met son fils en vente sur Facebook pour 20 millions de dollars

On ne peut tuer un mythe. Argumentez.

Ca ne peut plus durer, c’est intolérable. Alors je vais lui offrir, moi, son argumentation. Et dans les règles de l’art, s’il vous plait – du moins pour ce que j’en connais : thèse, antithèse, synthèse.

Il n’en reviendra pas.

Sa prof de lettres non plus, d’ailleurs.

#folieordinaire : RT @kafkawelt: ..la vérité la plus proche, c’est que tu te cognes la tête contre le mur d’une cellule sans porte ni fenêtre

*

Je me dois d’être honnête, la tâche s’est révélée beaucoup plus ardue que je ne l’avais imaginé : j’ai moi aussi sué sang et eau sur le sujet. L’icône même de la souffrance. Mais j’ai tenu bon, pour mon fils.

Puis le temps s’est arrêté.

Je venais de trouver une solution, peut-être même la solution ce qui, surtout pour quelqu’un comme moi, tenait du miracle – n’ayons pas peur des mots.

#folieordinaire : RT @kafkawelt: Ma vie régulière, vide, démente

Comprenez-moi bien : je suis tout sauf un intellectuel, mes seules lectures tournent autour de mon unique passion, les armes, encore les armes, toujours les armes. Fusils et revolvers uniquement. Je les collectionne avec acharnement jusqu’à y sacrifier la moindre miette de nos économies. Non, ma femme ne renâcle pas, elle hausse les épaules. A n’en pas douter elle me croit fou. Toutes ces années à aligner fusils et revolvers aux murs du garage avec une régularité maniaque… A moins qu’elle ne soit particulièrement conciliante… Que m’importe, après tout, puisqu’elle me laisse collectionner en paix.

#folieordinaire : Peu importe ce que tu fais.Il y aura tjrs des gens pr aimer, d’autres pr détester & la plupart pr s’en foutre

Hier, elle a passé deux ou trois fois la tête par la porte du garage tandis que je noircissais feuille après feuille, en froissais des monceaux – éparpillés autour d’une poubelle qui refusait de les avaler – je peux savoir ce que tu fabriques ? elle a demandé – j’ai dû répondre quelque chose comme rien, rien – elle n’a pas insisté. Si je lui avais dit la vérité – j’aide le gamin à faire ses devoirs – elle ne m’aurait pas cru.

#folieordinaire : Chacun jugeait l’autre « fou », fou à la lettre. C’est que peut-être certaine intensité de l’être paraît toujours folie

Lui, n’est pas descendu me voir.

Depuis le jour où il a pu mesurer l’étendue de ma collection, il n’a jamais remis un pied dans le garage.

Ni adressé la parole.

Allez comprendre…

#folieordinaire : RT @kafkawelt: Ma vie régulière, vide, démente

*

A Noël dernier je lui ai offert une magnifique reproduction d’un Trench Ithaca Model 37 – chargement par le bas, éjection facile des douilles, comme dans le Remignton Model 10, poli bleu, pivots de bretelle standard – tellement parfaite que n’importe quel expert s’y serait cassé le nez. Oui, un jouet. Mais d’une qualité si rare que vous le payez presque le prix du vrai – je sais de quoi je parle, il en trône un véritable dans mon garage, à la place d’honneur – une folie, en somme.

Tandis qu’il ouvrait son paquet, je trépignais d’impatience. Lui ne se départissait pas d’un air blasé – revenu de tout avant même d’y être allé.

Quand il a eu en mains l’irréprochable reproduction du Trench Ithaca – rien n’y manquait, pas même les fameuses initiales du lieutenant contrôleur : R.L.B – je rayonnais plus que la guirlande du sapin de Noël.

J’ai entendu ma femme soupirer dans mon dos.

Lui, n’a pas dit un mot.

A lentement refermé l’étui.

Sans sourire.

Passé dix ans, il est notoire que les gamins cessent de sourire au pied du sapin…

Il me semble…

#folieordinaire : De « la nature de nos connaissances, qui sont surtout constituées de divagations sur des divagations. »

*

On ne peut tuer un mythe…

Un mythe…

Quelque chose m’avait laissé penser que décortiquer ce mot me permettrait de décoder le sujet.

Un mythe, m’étais-je dit, ou c’est mort et c’est une légende, ou c’est vivant et c’est une légende…vivante – comme l’écrivent certains journalistes. Bref, vivant ou mort, c’est toujours une légende… J’en serais toujours là sans cet article en page 4 de L’Historien des Armes.

Puis le temps s’est arrêté.

Mais je l’ai déjà dit.

#folieordinaire : «Certains ne deviennent jamais fous… Leurs vies doivent être bien ennuyeuses.»

[Charles Bukowski]

*

La page 4 de L’Historien des Armes est la seule concession du mensuel à l’actualité, sous forme de brèves de trois ou quatre lignes, sans rapport avec la passion de son lectorat.

C’est la troisième « dépêche », ainsi qu’ils les ont baptisées, qui m’a fourni la clé du sujet. Par un de ces inexplicables et fulgurants enchaînements d’idées, aboutissement d’une logique qui, si elle vous est propre, n’en demeure pas moins stupéfiante.

J’ai lentement refermé le magazine.

En souriant : j’allais pouvoir argumenter.

Et d’une façon tellement lumineuse qu’elle ne manquerait pas d’imprimer la pellicule de la mémoire de mon fils, j’en étais convaincu.

#folieordinaire : Un être libre,c’est rare,mais tu le repères tout de suite,d’abord parce que tu te sens bien,très bien quand tu es avec lui

J’étais fier de moi, il le serait forcément.

*

Séquences. Je ne vois pas une autre façon de dire. Soudain, dans la vie d’un homme se déclenchent des séquences terribles ou stupides sans qu’on sache quelle loi, hors des lois connues, en décide.

Aucune idée d’où j’ai pu lire ça ni pourquoi diable je l’ai retenu.

*

On ne peut tuer un mythe…

Ils arrivent au coin de la rue, motards en tête, j’ai une goutte de sueur dans l’œil. Essuyée.

J’ai changé de position, à genoux, comme si j’allais prier. Sourire.

Le gravier du toit terrasse, la clameur de la foule, un drapeau claque au vent sur fond de ciel bleu. Noir et lourd étui à terre à mes cotés.

Le bruit des moteurs gronde sous la foule qui bruisse de joie, crépitement des applaudissements saluant le mythe, gestes lents des motards écartant les trop enthousiastes. Caméras.

#folieordinaire : Il jette un chat par la fenêtre lors d’une dispute et blesse une passante

Cortège à 400 mètres, encore trop loin, même si je distingue le mythe debout dans sa voiture roulant au pas. Important de ne pas sous estimer la distance.

Nouveau coup d’œil à l’étui qui attend à mes cotés, rassurant animal de compagnie, pourtant dressé pour tuer. Nouveau sourire.

*

Sourire calibré au millimètre, œil de velours rieur mais compétent, comédie offerte au regard complaisant/caressant des caméras. Un mythe dans le rôle principal.

Tout ce que la planète compte de médias couvre l’événement, le plus important meeting de sa campagne, le dernier avant l’élection – les sondages le proclament président. C’est sans compter ma dissertation.

Thèse, antithèse, synthèse.

#folieordinaire : La boisson Mountain Dew peut dissoudre une souris

Je tends la main vers l’étui où sommeille ce qui se fait de mieux en matière d’argument, en caresse le cuir épais avant de faire claquer les serrures d’un geste sec. En bas, le mythe poursuit son bruyant bain de foule.

250 mètres.

J’effleure et flatte du bout des doigts l’arme sagement alanguie.

Comme toutes celles de ma collection, je la sais prête à œuvrer – le jour où ma femme m’a fait remarquer le danger qu’une telle manie représentait, je lui ai opposé qu’un collectionneur de grands crus ne gardait pas les bouteilles vides : moi non plus – je souris.

#folieordinaire : un couple a commencé par se disputer sur Facebook alors qu’ils étaient ds la même pièce,pour finir par en venir aux mains.

150 mètres.

On ne peut tuer un mythe.

Mon fils, tiens-toi prêt, ton père s’apprête à argumenter.

#folieordinaire : Une jeune mère frappée à la foudre survit à cet incident et met quand même son enfant au monde.

Que vas-tu bien pouvoir penser en me reconnaissant au journal du soir, debout sur mon toit terrasse, lunette de visée vissée à l’œil, plein écran, tremblotante image captée par un zoom maximum ?

Je ricane : j’ai programmé en douce le mediacenter pour qu’à la fois le flash qui ne manquera pas d’être diffusé – ce que les médias peuvent être prévisibles ! – et le 20 heures – édition bien entendue Spéciale Mythe et moi – soient pérennisés sur disque dur. Tes notes se prennent elles- mêmes, fiston. Tu vois, ton père a tout prévu.

100 mètres.

On ne peut tuer un mythe.

On va bien voir.

#folieordinaire : « cesseront-ils de se contenter de la misérable vacance dans les bronze-culs low-cost en échange de leur soumission finale » ?

*

Argumentez.

Maintenant !

Je me dresse d’un bond, empoigne et épaule le fusil d’un même mouvement.

#folieordinaire : Délire dans lequel les idées délirantes naissent et se développent par interaction chez deux ou plusieurs sujets

Malgré la rapidité de la scène, admirez la perfection de la position du tireur : professionnelle.

Sourire en coin je cale ma joue contre la crosse du –

Un badaud puis deux puis cent viennent de me repérer et hurlent en me braquant du doigt. Les caméras se tournent dans ma direction.

#folieordinaire : «Certains ne deviennent jamais fous… Leurs vies doivent être bien ennuyeuses.»

[ Charles Bukowski ]

La crosse du –

Incapable de bouger, je pleure de tant de ridicule.

#folieordinaire : RT @francoisVinsot : « Il est mort en tweetant, ce qui était statistiquement quasiment inévitable »

La joue contre la crosse du Trench Ithaca, mes larmes ne suffisent à masquer l’inscription gravée… dans le plastique de ce qui n’est qu’un… jouet, bien imité, presque vendu au prix du vrai –

« Made in Taiwan ».

Je hurle – On ne tue pas un mythe !

#folieordinaire : 28 ans (ni psychose, ni alcool) coupe son doigt le cuit et le mange

puis jette le Trench Ithaca de mon fils cinq étages plus bas sous l’œil médusé des caméras.

Figés, les motards ne tirent pas. Peut-être se demandent-ils si mon argumentation se tient ?

Non, je tombe sous la mitraille de ceux qui utilisent le 24 X 36 comme munitions et de ceux qui me crucifient en vidéo HD sans savoir ce qu’ils font.

#folieordinaire : RT @kafkawelt: Ma vie régulière, vide, démente

L’icône du ridicule.

Qui sait si je ne viens pas de devenir un mythe, après tout…

Je prie pour que mon fils le voie ainsi.

#folieordinaire : Peu importe ce que tu fais.Il y aura tjrs des gens pr aimer, d’autres pr détester & la plupart pr s’en foutre

Puisse-t-il ne serait-ce qu’en sourire.

#folieordinaire : RT: @Fluctuat : Louer une fausse petite amie sur Facebook,

c’est simple et pas cher (5dollars les 10 jours)

Vases communicants, 14e édition. Ce mois-ci, place à G@rp, « gastéropode marseillais encoquillé », qui a cogité avec moi sur le thème de la #folieordinaire, avec des tweets inside. Mon texte, c’est ici, au chaud.

  1. […] Toujours un grand, très grand plaisir d’accueillir un nouvel invité et de découvrir son texte – celui que vous venez de lire, magnifique d’échoïncidence, est signé Samuel Dixneuf. @Heraclite sur Twitter (mon recyclage de vieillerie se trouve chez lui, au coeur de ses Lignées). […]

  2. […] background-position: 50% 0px; background-color:#222222; background-repeat : no-repeat; } samdixneuf.wordpress.com – Today, 5:38 […]

  3. […] background-position: 50% 0px; background-color:#222222; background-repeat : no-repeat; } samdixneuf.wordpress.com – Today, 5:42 […]

  4. […] fixed; background-position: 50% 0px; background-color:#; background-repeat : no-repeat; } samdixneuf.wordpress.com – Today, 5:44 […]

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