Samuel Dixneuf

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La Cité du Temps

In carnets on 15 avril 2011 at 08:54

A Shadya

Elle émerge des brumes

Comme une coque fantôme

Qui se déplace sans bruit

Vers de nouveaux mystères

Et quand les brumes s’apaisent

Apparaît un îlot

Il semble loin de tout

Un havre de paix

Au cœur de l’agitation

Des banquiers pressés

Des clignotements électriques

Du luxe tapageur

De l’austérité minérale

C’est la Cité du Temps

On y parvient en glissant

Comme en apesanteur

Des animaux en forme de chaise

A moins que ce ne soit l’inverse

Guident le voyageur

Dans un univers de satin

Vers une pièce ivre

Où le temps s’est arrêté

Des tableaux déchirent l’espace

Sous la noirceur

Les couleurs s’ébattent

Parfois la houle s’apaise

On entrevoit l’espoir

Et sous cette vaste pièce

Là-bas

On aperçoit

Imperturbable

Tumultueux

Le temps

Qui s’en va

Ultima irradieux experts

In invité(e)s, vasescommunicants on 1 avril 2011 at 00:00

Pour la cuvée 6 des Vases communicants, Lignées accueille Franck Queyraud. Il y a quelques jours, il me confiait : « j’avais envie d’écrire sur les catastrophes qui n’apprennent jamais rien aux hommes, les livres qui devraient servir de passerelles de sagesse, l’absence de débat sur le nucléaire, l’inconséquence de tout cela qui n’arrive pas sur le domaine politique pour faire changer les choses… C’est mon obsession en ce moment mais depuis toujours également… »

Ultima irradieux experts

Le 15 juin 1951, le chaman inuit Sakaeunnguap se fige au sommet de l’inlandsis au nord du Groenland. Il précède les traîneaux de Jean Malaurie et de Qaalaasoq. Ils reviennent d’une expédition de recherche, chargés de fossiles et de documents divers.

Sakaeunnguap se fige. Se fige en découvrant les gros avions transporteurs de l’US Air-force atterrissant au rythme d’un par demi-heure, apportant matériaux et hommes, pour construire une base militaire « défensive », située au coeur des territoires inuits, près de Thulé précisément. Le 15 juin 1951, Jean Malaurie scelle son destin : en réaction, il va créer la collection Terre Humaine et écrire le premier volume de la collection : Les derniers rois de Thulé pour informer le monde : « livre de résistance et de réflexion« .

17 années s’écoulent…

Le 21 janvier 1968, un B-52G, en mission secrète de détection rapprochée, s’écrase sur la banquise à 8-12 km à l’Ouest de la base de Thulé. A son bord, quatre bombes thermonucléaires. L’explosion du bombardier dispersera trois bombes, c’est-à-dire leur charge d’uranium, de plutonium, d’américium et de tritium sur 15 à 20 km². La banquise sous la puissance du choc et de la chaleur va fondre sur 305 m de largeur et 610 m de longueur.

Contamination et disparition au fond de l’océan de la quatrième bombe thermonucléaire. Jamais retrouvée. Exit les peuples inuits…

20 ans passent…

En 1988, un groupe de travailleurs danois issus des 500 travailleurs danois travaillant sur la base, ayant coopéré à la décontamination fait part de problèmes de santé très sérieux : cancers, stérilités, graves troubles psychologiques…

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Silence des médias.

Silence des élites pensantes.

Que sont devenus les hommes ? Silences…

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Le 26 avril 1986 , à 1h23, se déclare un incendie dans la centrale nucléaire de Tchernobyl à Pripriat en Ukraine. Suivra la fusion du coeur d’un des réacteurs et un immense nuage sur toute la planète. Là aussi…

Chape de plomb sur la communication.

Chape de béton, plus tard, pour coiffer la centrale. Retour du sarcophage.

Une région entière isolée – no man’s land – ressemblant aux ambiances des films russes de Tarkovski.

Exit les liquidateurs, les fleurs et les rires des enfants…

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Que sont devenus les hommes ? Silences…

Silence des élites pensantes

Silence des médias.

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Le 11 mars 2011, vingt-cinq ans plus tard, un séisme gigantesque, déplace le Japon de 2,40 m. Comme un château de cartes s’effondrant, sans ironie aucune, une réaction en chaîne provoque un tsunami qui ravage la centrale nucléaire de Fukushima au Nord de Tokyo. Provoquant explosions, incendies et émanations de radiations. Les naïfs jardiniers des atomes n’ont pas l’humilité du jardinier de potager qui compose avec les éléments sans vouloir les dominer, sachant dans sa grande sagesse qu’il ne peut rien sans que la nature ne le souhaite. Jardiner c’est ouvrir des mondes. Mais, il faut de la patience :  » un jardinier a besoin de onze cents ans pour expérimenter, étudier et apprécier pratiquement tout ce qui est de son ressort… Nous autres jardiniers, vivons en quelque sorte en avance sur le présent : quand nos roses fleurissent, nous pensons qu’elles fleuriront encore mieux l’année suivante ; et dans une dizaine d’années ce pin minuscule sera un arbre ; si seulement j’étais plus vieux de dix ans ! Je voudrais voir déjà à quoi ressemblent ces petits bouleaux dans cinquante ans. Le vrai, le mieux sont devant nous. » (Karel Capek)

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La foi du jardinier est celle de l’avenir et de la postérité de ses enfants. Quelle est celle du jardinier des atomes ?

Exit…

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Silence…

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(Sources : Ultima Thulé de Jean Malaurie. – Editions du Chêne, 2000. – pp. 380-386 ; L’année du jardinier de Karel Capek en édition de poche chez 10/18 et l’encyclopédie collaborative Wikipédia pour les précisions de date et qui depuis la catastrophe du Japon nous informe en permanence)

En contrepoint du texte nécessaire et glaçant de Franck Queyraud, mon texte, esquisse d’un écrivain terré dans un silence insupportable mais inéluctable devant la fuite du monde…

Autres Vases d’avril.