Samuel Dixneuf

L’hydre

In invité(e)s, vasescommunicants on 4 juillet 2014 at 00:01

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Revenue d’un voyage aux antipodes, l’hydre atterrit à Charles de Gaulle en milieu d’après-midi et respire un grand coup. Elle ne reconnaît pas le goût de l’air qui passe par ses narines, les wagons du rer B ont changé d’aménagement, le ciel est curieusement gris. Quand, harassée par le décalage horaire et une digestion délicate, elle retrouve enfin sa maison, défait l’alarme et se précipite aux toilettes, quand enfin elle soulage sa vessie, émerge dans sa conscience embrumée le sentiment réconfortant du chez-soi-retrouvé. Ce que l’hydre ignore, c’est que les travaux d’aménagement de la rue des Merlans ont percé la canalisation des eaux, que demain matin à son réveil, elle aura beau tourner les boutons dans tous les sens, pas un millilitre d’eau, pas une goutte, pas une larmichette ne coulera dans l’évier de sa cuisine.
L’hydre plonge dans une nuit opaque où ondoient des rêves pacifiques. Vers midi elle se réveille, met un peu de temps pour constater à la blancheur de la lumière qu’elle a changé de continent, se met debout et va chercher dans sa valise bleue un petit sac en plastique contenant une graine exotique dans un peu de terre. Une graine rare, elle a dû en accomplir des exploits pour la découvrir et la ramener. Un pot de taille moyenne, une bonne pelletée de terre, bien placer la graine en creusant un peu, rajouter de quoi hydrater le tour. Mais quoi, il va marcher ce robinet, l’hydre s’énerve sur les boutons, tapote le conduit, insiste, rien. Pareil dans la salle de bain, avec le robinet du jardin, et le pot qui la nargue de sa terre sèche, et la graine qui va se ratatiner…Elle court au compteur d’eau, pourtant en position ON.

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Voila ce que c’est que de revenir, effacé le temps de l’émerveillement et des découvertes, place à la lourdeur du train-train. L’hydre s’assoit sur les marches de son entrée. Sa bouche tremble aux commissures, ses paupières palpitent, une larme petite luit au coin de son œil gauche. De grosses gouttes déferlent, de celles qui ploc-ploc au fur et à mesure qu’elles s’écrasent mollement dans la terre sombre. Sous ses joues dégoulinantes, des cercles sombres parsèment la terre sans qu’elle s’en rende compte.

Vases communicants, 19e édition. C’était un texte de Camille Philibert-Rossignol, qui fait une place au mien, par.

 

 

Pour Clément et Esteban mon père anarchiste

In invité(e)s, vasescommunicants on 5 juin 2014 at 23:59

le 5 juin 2013 Clément Meric est mort sous les coups de haine de jeunes fascistes. Pendant un an je suis passée devant une affiche avec son visage de jeune homme – affiche qui nous appelait à ne pas l’oublier – depuis quelques jours l’affiche a disparu déchirée recouverte par d’autres – le 25 mai 2014 nous avons tous été pendus aux chiffres des résultats des élections européennes – je ne sais pas parler de politique – j’ai commencé à écrire un truc – 1974 mon père a une moustache – Franco est malade – M.L.P. a cinq ans son chien s’appelle Adolph – 1984 mon père a une moustache – Franco est mort – M.L.P a quinze ans son copain s’appelle Adolph – 1994 mon père a une moustache – M.L.P. a vingt cinq ans – son mari s’ appelle Adolph – 2004 mon père a une moustache de cadavre – M.L.P. a trente cinq ans – son enfant s’appelle Adolph – 2014 mon père m’a donné quelque chose – M.L.P. a quarante cinq ans – on voit sa bouche se fendre jusqu’aux lobes ses bras s’écarter ses doigts griffer sa cage thoracique – écran noir – et puis ma tête est restée vide – alors je t’envoie ce texte pour dire que nous n’oublions pas Clément

 

je ne veux pas je ne peux pas vous écrire – et pourtant – c’est en lisant un article de presse vous concernant concernant un acte horrible que vous avez commis vous et d’autres personnes – c’est en lisant cet article c’est en lisant et relisant le prénom que vous portez – je ne sais rien ou très peu de vous – seulement le prénom que vous portez – ce prénom est le prénom de mon père – mon père Esteban – mon père anarchiste – je n’ai rien à vous dire – j’écris votre prénom Esteban et le fait suivre du mot fasciste – nous vivons vous et moi dans le même pays – et vous et moi avons du sang espagnol qui coule dans nos veines – le sang c’est ce qui fait battre le cœur – je vais maintenant écrire un autre prénom – mais avant je dois écrire que le sang de cette autre personne ne fait plus battre son cœur – vous avez arrêté de faire battre son cœur – le cœur de Clément – votre sang espagnol que vous le vouliez ou non porte une histoire – le sang fait battre le cœur des hommes mais le sang porte transporte aussi l’histoire des hommes – vous et moi avons une histoire avec ce sang espagnol – cet après – midi dans une cour pavée j’ai vu le visage rouge de pleurs d’un très jeune garçon  – juste après sa chute – je me suis arrêté – j’ai pensé quelques secondes à votre enfance – avant de devenir fasciste vous avez été un enfant – mais je m’éloigne – et si je veux je peux écrire ça n’est pas pour m’interroger sur votre enfance – je m’interroge sur votre violence extrême faire cesser de battre un cœur – vous êtes un fasciste c’est à dire vous êtes un opposant à la démocratie – je ne sais rien de vous ou très peu – mais je peux supposer que vous connaissez l’histoire de votre pays de naissance et son combat contre le fascisme dans les années les pires qu’il ait connues 1936/1939 – notre pays actuellement ne connait pas de guerre – vous êtes peut être en guerre contre la liberté de penser – contre la république – contre la pensée contre l’intelligence de la langue – mais je m’éloigne – je ne veux je ne peux écrire sur vous vos poings armés votre force physique au service de la mort votre aveuglement car vous n’avez rien vu et les personnes avec vous n ‘ont rien vu – de ce jeune homme frêle de son visage de son regard – vous n’avez rien entendu de ses cris de sa chute – je ne sais pas quelle langue vous parlez je ne sais pas si votre langue est encore humaine je ne sais pas si vous parlez la langue de votre naissance – votre langue porte désormais le crime que vous avez commis le cœur interrompu la vie ôtée la terrible tristesse de ce jour – je veux simplement écrire pour Clément –  et en souvenir de mon père Esteban anarchiste

 

ana nb

Vases communicants, 18e édition. Merci à Ana qui me permet de faire escale dans le jardin sauvage, pour son 5e anniversaire. Et merci pour Clément.

Linger on

In carnets, soniques on 2 novembre 2013 at 11:38

Tu es réveillé, à peine, encore allongé, la douce chaleur le duvet fatigué, tu es réveillé, à peine, le temps s’arrête pour toi, toi tu arrêtes le temps, la montagne ne partira plus des nuages, tu es réveillé, à peine, la petite fille dessine un drôle de bateau, sa maman lui parle gentiment, tu n’entends pas les paroles, tu es réveillé, à peine, un pâle sourire sur tes lèvres.